Pour déployer encommun.org, IGE avait fait une tentative en 2014 de partenariat auprès de l’association Picapo. Les prix étaient supérieurs à ceux pratiqués par des hébergeurs commerciaux et la qualité de service était dépendante du temps que pouvait y consacrer quelques personnes très occupées par ailleurs. Certains de nos partenaires s’étaient interrogés sur ce choix. En effet, pourquoi payer pour de l’hébergement Internet alors qu’il existe des offres « gratuites » ?
C’est cette question qui a initié le débat sur « l’hébergement libre » (auto-hébergement ou hébergement associatif) lors de l’atelier Rockette Libre du 31 octobre 2014. L’événement était suivi par une assistance nombreuse dont une journaliste de France Inter.
Au-delà du constat de « la centralisation d’Internet », une décentralisation, si elle est souhaitable, serait-elle possible ?
1. Lutter contre la centralisation d’Internet ?
Un participant de la Rockette Libre nous disait qu’il y avait une concentration des données numériques et des pouvoirs dans les mains d’une trentaine d’acteurs à travers le Monde. La centralisation est source d’optimisation mais aussi de fragilités et de dangers. Avant de détailler quelques-uns de ces dangers : société globale de la surveillance, problèmes de sécurités, profilage des individus à des fins marketing…., retour sur le leitmotiv du « rien à cacher ».
1.1 Le mythe du rien à cacher
Ce thème avait déjà précédemment été abordé ici.Quelques développements supplémentaires.
Laisserions-nous ouvert nos maisons pour que tout le monde puisse regarder dans nos armoires et nos tiroirs ? Enverrait-on nos lettres personnelles ou professionnelles comme des cartes postales ? Oui ! Alors effectivement, les développements ci-dessous sont inutiles. Non ? C’est pourtant virtuellement ce que nous faisons :
- lorsque nous sommes connectés au réseau Internet sans avoir pris des précautions sur nos machines en local,
- quand nous hébergeons nos données (dans les « nuages » – ou cloud) sur des serveurs mal protégés
- à chaque envoi d’email sans chiffrement.
En fait, peu importe qu’on est ou pas des choses à cacher. Le fait de savoir que, peut-être, quelqu’un, un jour, prendra connaissance des données créées pour un usage personnel ou restreint à un cercle de proches, aura une incidence sur la manière de faire et d’être des individus. La vie privée est la première des libertés sans laquelle, aucun des droits fondamentaux n’est possible.
1.2. Les dangers de la centralisation
1.2.1 La surveillance globale des Etats
Les révélations d’Edouard Snowden ont montré qu’une surveillance d’Etat était non seulement possible mais dors et déjà à l’œuvre. Si officiellement, c’est pour lutter contre le terrorisme, la NSA utilise aussi ces informations dans le cadre de la « guerre économique » que se livre chaque pays.
Par ailleurs, n’oublions pas que :
a. les démocraties ne constituent pas l’ensemble des régimes politiques du Monde
b. l’histoire à montrer que nous n’étions pas, surtout en période de bouleversements sociétaux, à l’abri de changements de régime politique…
1.2.2 Les problèmes de sécurité sur les serveurs
Aucun serveur n’est infaillible. Et quand des millions/milliards de données sont hébergées à un même endroit, c’est un peu le pot de miel qui attire les délinquants numériques. Que les portes soient fracturées et les préjudices prennent tout de suite des proportions considérables. Violation du secret des affaires pour les entreprises. Intrusion dans la vie privée pour les particuliers. Vandalisme paralysant ou réduisant à néant le travail associatif.
1.2.3 Le profilage des individus
L’agrégation de données éparses mais pouvant être reliées entre elles par divers moyens ouvre des possibilités quasi infinies de profilage de consommateurs à des fins marketing ou autres…
Ces quelques raisons peuvent donner à réfléchir sur l’intérêt qu’il pourrait y avoir à favoriser une certaine décentralisation de l’hébergement de données. Mais comment faire et pourquoi n’y arrive-t-on pas ?
2. Des facteurs peu favorables à la décentralisation
Deux hébergements alternatifs ont été examinés à la Rockette Libre : l’auto-hébergement et l’hébergement associatif.
2.1. La nécessité d’avoir des compétences techniques pour maintenir un serveur sécurisé en auto-hébergement
S’il existe des solutions simples à mettre en œuvre pour héberger son propre serveur de données, la maintenance est, elle, beaucoup plus lourde. [Une solution avait déjà été présentée dans ce précédent article.] L’auto-hébergement de la messagerie pose par ailleurs des difficultés particulières.
2.2 Un modèle économique impossible à établir pour de l’hébergement associatif ?
Avoir un administrateur système sous la main s’occupant de la maintenance est incontestablement un avantage stratégique. Dans la vraie vie, cela signifie donc qu’en théorie il faudrait le payer. Voilà déjà un premier poste de dépense, mais, ce n’est pas le seul !
L’infrastructure d’Internet, comme nous l’a montré une visite dans un data center (postérieurement à l’atelier de la Rockette Libre) est très matérielle. Beaucoup de machines, énormément de câbles, une consommation électrique importante et une bande passante beaucoup plus onéreuse pour les petits hébergeurs que pour les hébergeurs commerciaux.
Les prix pratiqués par l’hébergement associatif doivent pour rester proches des offres commerciales souvent intégrer un travail bénévole d’administrateur(s) système. Dès lors, mieux vaut, s’il s’agit de mettre en œuvre des projets nécessitant d’importantes ressources, bien réfléchir avant d’opter pour un hébergement associatif. Ce n’est pas par choix économique que l’on choisi l’hébergement associatif mais pour :
- participer à la gestion commune de l’hébergement,
- apprendre les fondamentaux en matière réseau afin d’être en mesure de régler soi-même certains problèmes,
- devenir plus autonome et ne pas dépendre complètement de gros hébergeurs commerciaux. Évidemment, ces derniers comme le géant de l’Internet Google, ne proposent pas gratuitement leurs services ! Quel prix accordons-nous à notre autonomie et à nos données ?
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Un débat intéressant autour du changement d’échelle eut lieu en fin de séance. Devait-on privilégier la concentration associative pour aller vers la viabilité économique au risque de perdre l’âme associative en chemin ? Nous pensons que la structure de gouvernance de l’association est une clé pour éviter cet écueil.
Clairement, la proposition visant à déployer encommun.org allait dans le sens de cette viabilité économique de l’hébergement associatif résilient. Nous avions espéré que des règles claires pour la co-gestion entre InfoGnuEureka et Picapo permettraient de trouver un équilibre entre éthique, pragmatisme et viabilité économique. Ce ne fut pas le cas. La suite ici.
Cyril Desmidt,
le 3 nov. 2014
Mise à jour le 27/12/2017